Mariani et Uzanne sur une photographie ou une multitude de questions.

En juin 2023, nous fîmes l’acquisition en connaissance de cause d’une magnifique photographie au format 9 x 9 cm, épreuve argentique d’époque que voici ci-dessous. Ce document était proposé sur internet par une maison de ventes parisienne que nous remercions beaucoup. Notamment pour son écoute et ses explications. Voici la fiche technique proposée correspondant à cette vente : – Lot 63 – Horace MARIANI (1838-1914), mécène, concepteur du vin Mariani, voire du Coca-Cola, et Joseph UZANNE (1850-1937), journaliste, critique d’art, frère aîné d’Octave Uzanne et membre des Hydropathes. Et où l’origine de ce document n’est pas précisée.

Dr. Sur le pont d’un paquebot, au Havre Joseph Uzanne en compagnie d’Angelo Mariani ?

Après obtention de ladite photographie et puis en observant de plus près ce beau cliché noir et blanc, nous sommes allés avec grand plaisir de surprise en surprise. Était-ce bien Horace (en réalité Simon Horace Alexandre) Mariani (1) né en 1849 à Bastia (Corse) au côté de Joseph Uzanne et de sa canne ? Comme indiqué au revers de la photographie.

Dr. Annotations au dos du cliché.

Ou bien son frère dit Angelo…Sont-ils en partance où à l’arrivée au Havre ? Accompagne-t-il une autre personne juste avant son départ ?

Selon nos propres informations Angelo Mariani s’est rendu au mois à trois occasions (1891, 1896 et 1897) aux États-Unis avec les paquebots Gascogne, Touraine et Champagne, mais jamais Joseph Uzanne à contrario de son frère Octave Uzanne qui fit lui le déplacement et sera reçu par la famille Mariani à New York. Même chose pour Simon Horace Alexandre Mariani qui ne fit, semble-t-il, jamais ce parcours…

Autre élément qui nous interpelle correspond aux dates de naissance et de décès d’Horace Mariani présenté au dos de la photographie qui ne sont pas exactes, car elle concerne en réalité Angelo Mariani (1838-1914).

Enfin l’origine de cette image. En regardant de plus près tous les clichés de cette vente, on voit apparaître à un moment le patronyme d’Yvan Christ né en 1919 pour une autre photographie. Ce nom nous parle. C’est celui du petit fils de Joseph Uzanne domicilié alors au 5 rue Léopold Robert dans le 14e arrondissement à Paris. Cette photographie provient elle de la collection de cette personne décédée en 1998 ? c’est possible. À ce stade de notre petite étude, nous penchons donc plutôt pour Angelo Mariani que pour Horace Mariani sur cette photographie en compagnie de Joseph Uzanne. En outre chers lecteurs si vous avez des informations sur cette iconographie qui invite au voyage, nous sommes bien entendu preneurs. A.D

Saint-Raphaël, Valescure (Var) et le square Mariani en 2023.

En tout premier lieu le maire de Saint-Raphaël, M. Frédéric Masquelier évoque l’idée sur Facebook en décembre 2019 de mettre en valeur Angelo Mariani. Et/ou, on s’aperçoit en janvier 2023 qu’il a tenu parole. À ce jour cette commune varoise est la seule en France et en Europe (1) à avoir ainsi rendu hommage à ce grand mécène du monde culturel de la IIIe République avec la dénomination d’un lieu dit : square Mariani. La société des Amis d’Angelo Mariani l’en remercie.

Trois autres personnes doivent être aussi nommées dans cette dynamique. Il s’agit en premier lieu de Marie-Ange Mariani arrière-petite-fille d’Angelo Mariani, soutien inconditionnel de notre association, et ce depuis plus d’une décennie, maintenant. Eh oui, déjà ! D’un habitant ensuite du quartier de Valescure, M. Olivier Rolland, Président de l’association des habitants du cœur historique de Valescure (2). Et enfin M. Christophe Mariani qui a repris l’œuvre du maître et qui se positionne en 2023 pour l’anniversaire des 160 ans du produit inventé par Angelo Mariani en 1863.

Sous l’impulsion des services de communication de la commune de Saint-Raphaël sont apparus divers totems urbains explicatifs en ces lieux.

Dr : Commune de Saint-Raphaël.

Dr : Commune de Saint-Raphaël.

Et si vous allez sur Google Map, le square Mariani y est bien référencé.

Dr : Google Map.

On pourrait aussi attirer l’attention sur un autre aspect patrimonial de cette commune. En lien avec le premier. C’est la présence d’une dépendance de la villa Andréa dénommée : Les Violettes. Cette bâtisse mitoyenne à celle d’Angelo Mariani et qui existe toujours servait à recevoir ses amis comme l’aviateur Roland Garros qui y séjourna une nuit jusqu’à son départ pour son vol intercontinental, le premier au monde le 23 septembre 1913. Peut-être qu’une plaque informative à l’attention des touristes pourrait agrémenter cet endroit ?

Dr.

On ne peut pas non plus se quitter sans évoquer un acte de bravoure du petit fils d’Ange-François Mariani en 1933, seulement âgé de 19 ans, basé bien entendu à Valescure à la villa Andréa. Il sauva deux personnes en perdition en pleine mer d’une mort certaine devant Saint-Raphaël. Son acte altruiste eut pour écho le Journal de la République française en 1934.

Dr. Extrait J.O de la République française, 2 août 1934.

Dr. La médaille de bronze au nom d'Angelo Mariani.

La villa Andréa à Valescure commune de Saint-Raphaël.

Dr.

Puisque l’on évoque la villa Andréa aujourd’hui disparue, il est à remarquer qu’une iconographie originale de ladite demeure réalisée par le célèbre peintre et proche ami d’Angelo Mariani, Enrique Atalaya est apparue en avril 2022 par le biais d’une vente aux enchères, à Pau (Pyrénées-Atlantique). Cette image (3) fut en effet proposée lors d’une adjudication dans la capitale béarnaise et présentée notamment sous la forme d’une photographie que voici (extrait).

Dr. Maison de ventes aux enchères à Pau, avril 2022.

Observons de plus près cette belle peinture. Nous sommes dans la cour d’entrée d’Angelo Mariani à Valescure en septembre 1903. On repère de suite les colonnes au niveau du portail ornementé dans leurs hauteurs par deux magnifiques vases remplis d’aloe vera. Parmi les quatre personnages présents sur cette aquarelle, on voit immédiatement le maître de maison tout de blanc vêtu comme à son habitude avec son couvre-chef dans la main gauche et sans sa célèbre canne produite en un seul exemplaire par Oscar Roty, son ami. D’ailleurs n’est-ce pas lui qui discute avec le maître ? Dans le dos d’Angelo Mariani, Isabelle Chapusot admire le panorama de Valescure. Au premier plan, c’est l’invité mystère, mal en point. Son canotier et sa canne sont posés sur une chaise pendant que son pied gauche se repose. Est-ce un parisien qui n’a pas supporté une excursion pédestre dans les alentours ? On pourrait penser de prime abord à Joseph ou Octave Uzanne, amis d’Angelo Mariani. Mais cela ne colle pas avec la chevelure peu étoffée de l’individu représenté. Ou alors n’est-ce pas plutôt Xavier Paoli ?

Dr.

Sur cette carte postale, ci-dessus on distingue au premier plan, la nymphe en bronze réalisée par Théodore Rivière, le macaron en forme de tête de faune exécuté par Oscar Roty (qui existe toujours) et la plaque d’inauguration correspondant au 27 février 1905. Le tout financé (encore une fois) par Angelo Mariani et ce dans la plus grande discrétion. En arrière-plan, on peut admirer la partie supérieure de la demeure d’Angelo Mariani.

Ensuite et à contrario, on ne s’attardera pas sur notre dernier ouvrage avec un chapitre consacré là encore à Angelo Mariani. Le plus simple étant d’aller sur le site de la maison d’édition pour en savoir plus : http://www.dalechall.fr

Dr.

Autre livre, celui édité par la Ville de Saint-Raphaël.

Dr : Municipalité de Saint-Raphaël (Var).

En vente depuis janvier 2023 au Centre culturel et intitulé : Saint-Raphaël-Personnalités et Célébrités. On y note selon la municipalité la présence d’Angelo Mariani : « De Bonaparte à Charles de Gaulle, de Victor Hugo à Colette, de Scott Fitzgerald à Joseph Kessel, d’Eugène Fromentin à Louis Valtat, de Jacques Henri Lartigue à Helmut Newton, de Charles Gounod à Vincent d’Indy, de Lydia Yavorska à Élisabeth Taylor, d’Angelo Mariani à Yves Le Prieur, Saint-Raphaël a su attirer les grands de ce monde par son cadre naturel, son patrimoine et sa douceur de vivre. Autant de personnalités de premier plan qui ont donné ses lettres de noblesse à la cité de l’Archange : métamorphosant son devenir, éveillant les esprits, apportant un regard éclairé sur notre société et notre avenir ».

En outre saluons un très beau site internet http://www.octaveuzanne.com décliné aussi sous la forme d’un blog consacré à l’œuvre littéraire et bibliophilique d’Octave Uzanne, intitulé : Octave-Uzanne-bibliophile.blogspot.com/. Il est tenu par un passionné de livres anciens : Bertrand Hugonnard-Roche qui n’oublie de mettre en valeur Joseph Uzanne qui fut le secrétaire particulier d’Angelo Mariani. À ce sujet, il faut vraiment lire la correspondance inédite entre les deux frères dans laquelle Valescure est citée à de multiples reprises.

LUNDI 29 AOÛT 2022

Correspondance inédite. Lettres d’Octave Uzanne à son frère Joseph Uzanne. Année 1909. Du 1er janvier au 30 décembre 1909.

MARDI 28 JANVIER 2014

Octave Uzanne et la Villa Andréa ou Villa Mariani (1906-1910) à Valescure (St-Raphaël) chez Angelo Mariani.

Arrivée au terme de notre présentation, osons une dernière remarque. Un jour peut-être la Nymphe de Théodore Rivière réapparaîtra en 3 D grâce notamment à la multitude de traces visuelles présente encore aujourd’hui. Même si elle ne renaîtra pas en bronze (hors de prix), il est réaliste de penser qu’elle fera son retour avec un alliage moins onéreux et plus résistant…A.D

Dr. Source (Antoine Bandiéri) revue l‘Illustration du 11 mars 1905, n° 3237. On y voit à gauche du cliché Théodore Rivière, au milieu et à droite Oscar Roty et Angelo Mariani accompagnés de leurs cannes respectives.

Dr.

Dr : Municipalité de Saint-Raphaël (Var).

Dr.

Dr.

Enfin à noter que la Société des Amis d’Angelo Mariani vient de publier sa nouvelle lettre d’informations n°34.

(1). Il existe un totem urbain aux États-Unis dans la ville de Columbus, ville natale de John Pemberton en Géorgie (USA) érigé en 2015 évoquant le vin Mariani par deux groupes d’historiens américains (Historic Columbus Foundation, Inc et The Historic Chattahoochee Commission).

(2). Cf, le magazine municipal de la ville de Saint-Raphaël, Le Lien numéro 144 de novembre/décembre 2019, pp 18 et 19, puis le numéro 159 de juillet/août 2022 pp 14 et 15 et celui numéro 162 de janvier/février 2023 pp 22 à 23.

(3) Enrique Atalaya (1851-1914) « Parc de la villa Andrea à Valescure St Raphaël ». Huile sur carton fort (15,5 x 23,5 cm) signée, titrée et dédicacée en bas à droite « À mon ami Angelo Mariani, Villa Andrea à Valescure St-Raphaël, septembre 1903 » .

Angelo Mariani et sa non-rencontre avec Félix Faure président de la République française en février 1899 au Palais de l’Élysée.

   Comme nous l’avons déjà vu par le passé Angelo Mariani, par l’entremise de son fidèle secrétaire particulier, Joseph Uzanne entretient une nombreuse correspondance avec les principaux décideurs de l’hexagone (politique, économique, social, médecine, art et journalisme). Il en va de même avec Félix Faure depuis son élection à la Présidence le 17 janvier 1895. De surcroît en négociant habile Mariani livre de façon régulière son produit au sommelier en chef de la cave à vin de l’Élysée.

Dr.

  Avec Joseph Uzanne, ils demandent une photographie et un autographe officiel du Président Félix Faure afin de les publier dans l’album Mariani. Ce dernier accepte. Nous sommes en novembre 1898. Par l’entremise de son directeur de cabinet un breton M. Louis-Romain Le Gall*, le cliché est transmis accompagné de ces mots : « M. Mariani. M. le Président a été très touché de votre aimable attention dont il vous sait le plus grand gré. Je suis heureux de vous faire savoir qu’il m’a autorisé à vous remettre sa photographie qui vous sera adressée incessamment ».

Fac-similé de la lettre à entête de la Présidence à l’attention d’Angelo Mariani et signé du directeur de cabinet de Félix Faure.

   Mieux, le chef de l’État décide de rencontrer Angelo Mariani à l’Élysée. Pour cela le mardi 14 février, le président de la République française, Félix Faure, fait parvenir au bureau d’Angelo Mariani à Neuilly-sur-Seine, une lettre de remerciements pour les envois répétés de son vin au Château. Le Président, amateur reconnu de ce breuvage, en profite pour l’inviter de façon officielle à une soirée prévue le 23 février à la Présidence, vers 21 h 30*. C’est à coup sûr la consécration publicitaire tant attendue pour la maison Mariani. Mais Mariani ne rencontrera jamais le Président. Entre temps, va se dérouler le célèbre épisode du 16 février durant lequel Félix Faure décède en présence de Marguerite Steinheil, née Japy dite Meg*.

   Ce fait historique, il y a tout juste 121 ans, à la journée près commence vers 17 heures. Marguerite Steinheil fait une entrée discrète dans le salon d’argent du palais*. À 17 h 45, elle prévient Louis-Romain Le Gall (48 ans) directeur de cabinet que le président a eu un malaise. Aidé d’Henri Blondel (36 ans) secrétaire particulier de cabinet, nos deux fonctionnaires installent le chef de l’État sur un divan pendant que Marguerite Steinheil s’éclipse. On tente par tous les moyens de lutter contre une congestion cérébrale. Mais rien n’y fait. On finit par prévenir son épouse Marie-Mathilde-Berthe Belluot et sa fille cadète Lucie. Le président s’éteint à leurs côtés vers 22 heures. Il avait 58 ans.

Supplément illustré du Le Petit Journal n°432, huitième et dernière page, dimanche 26 février 1899 gravure de Fortuné Louis Méaulle.

Extrait agrandi de l’image parue dans Le Petit Journal n°432, huitième et dernière page, dimanche 26 février 1899.

   Dès l’annonce de son décès, le journal L’Aurore en date du 17 février 1899 par la plume de Georges Clemenceau à ces mots cruels : « Cela ne fait pas un Français en moins, mais une place à prendre ». Puis, il n’hésitera pas quelque temps tard à préciser sa pensée concernant l’ancien président avec ce propos grivois « Il voulait être César, il ne fut que Pompée ». On lui prête aussi cette terrible phrase : « Félix Faure est retourné au néant, il a dû se sentir chez lui ».

   Par delà ce drame tout s’accélère. Louis-Romain Le Gall prévient Angelo Mariani que la soirée du 23 est ipso facto annulée. Ce qui amène notre entrepreneur Mariani, sa compagne Isabelle Chapusot ainsi que Joseph Uzanne à modifier leur emploi du temps. Ils se rendront aux obsèques du chef d’État le jeudi 23 février 1899 en la cathédrale Notre-Dame dès 14 heures. Et d’une certaine manière, honorons la rencontre qui avait été prévue ce même jour. Mais pas dans les mêmes conditions…

   Angelo Mariani lui rendra de nouveau hommage, en novembre 1899 dans le supplément illustré quatrième série encarté dans le journal Le Gaulois, en éditant la fameuse photographie de Félix Faure issue des ateliers Nadar sous la forme d’une gravure de Désiré Quesnel.

Supplément illustré quatrième série de l’album Mariani (tome V, 1900) encarté dans le journal Le Gaulois de novembre 1899.

   Puis l’année suivante dans le tome V de l’Album Mariani.

À partir d’une photographie de Félix Faure issue des ateliers Paul Nadar sous la forme d’une gravure de Désiré Quesnel et réalisée en novembre 1898.

   Angelo Mariani par amitié réciproque restera en contact avec Louis-Romain Le Gall et Lucie Faure.

Les différents n° de téléphone d’Angelo Mariani (180 000 abonnés en France en 1906 pour une population de 41 millions d’habitants).

   Ce qui amènera une nouvelle présentation en 1906 dans le tome X de l’album Mariani de son produit à la fois via l’ancien directeur de cabinet de Félix Faure accompagné de la fille du regretté président. Soit Lucie Faure devenue Madame Lucie Félix-Faure Goyau.

Louis-Romain Le Gall, tome X, Album Mariani, 1909, Paris.

Lucie Félix-Faure Goyau, tome X, Album Mariani, 1909, Paris.

                   

   Pour en savoir plus on peut parcourir le chapitre sur Félix Faure pp 203-217 dans l’ouvrage de Patrick Pelloux paru en 2019 à Paris aux Éditions Robert Laffont, intitulé : Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux. Sans oublier l’article de l’historienne Joëlle Chevé publié dans le dossier Histoires érotiques de l’Élysée (Historia n° 831, mars 2016).    A.D

* Le carton d’invitation existe toujours et se trouve à la BNF François Mitterrand.

* Certains chansonniers de l’époque n’hésiteront pas à la qualifier de « pompe funèbre ».

* Né le 5 avril 1851 à Brest et décédé le 30 avril 1916 à Paris.

* Sur le site internet de l’Élysée on peut observer à quoi ressemble en ce mois de février 2020, le salon d’argent. https://www.elysee.fr/la-presidence/visite-palais-de-l-elysee-et-son-histoire