Enfants des Arts et Angelo Mariani

   Fondée en 1881, sous l’appellation d’Orphelinat des Arts (1), par Marie Laurent, aidée de Sarah Bernhardt et d’Hortense Schneider, l’association avait pour but initial l’aide aux jeunes filles d’artistes dans le besoin. De nombreux mécènes, contribuèrent à son développement et encouragèrent son action tout au long du XXe siècle, comme : Lucy Arbell, Gustave Charpentier, Yvonne Printemps, Juliette Achard, Jules Dalou, Roland Dorgelès, Rachel Boyer, Théophile Poilpot, Louis Oscar Roty, Henri Desgrange, Jane Deley, Gustave Doré, Isabelle Chapusot, princesse Troubetzkoy, Rejanne, Julia Bartet, Loïe Fuller, et bien d’autres (2). À l’image aussi de Marie Édile Riquer, Suzanne Reichenberg, Gabrielle Krauss, Sophie Alexandra Croizette, Madeleine Zulma Bouffar, Léontine Victorine Beaugrand, Alice-Marie Fleury, plus connue sous le patronyme de Henry Gréville, Marie-Jenny-Thérèse Thénard, Constance Quéniaux, Alice Ozy (Julie Justine Pilloy), la duchesse d’Uzès, Jeanne Poilpot, Marie Scalini, Berthe Blanche Marraud, Hélène Louise Fabre, et Colette Brosset. Puis à la fin du XXe siècle, son intitulé a été modifié en Enfants des arts. Angelo Mariani en aurait été bien ravi de l’apprendre. Sait on qu’il fut le premier à évoquer de son vivant le vocable enfants des arts ? De toute évidence son regard bienveillant parcourt toujours ce lieu de bienfaisance à Courbevoie.

Un petit retour dans le temps s’impose pour expliciter notre propos.

   Ce bienfaiteur Corse (3) avec Jeanne Poilpot avaient demandé en 1905 à leur ami commun Louis Oscar Roty de confectionner des tirelires en terre cuite, en bronze et en grand nombre afin de les distribuer dans leurs entourages fortunés. D’une manière immuable, à chaque remise d’une cagnotte Angelo Mariani précisait sa démarche altruiste par ses mots : « Un petit sou tous les jours…pour les enfants des Arts » (4). Comme quoi ce leitmotiv a bien traversé le temps.   A.D.

(1) On peut lire sur ce point l’ouvrage de Jacques Baudson-Lablaine intitulé : L’orphelinat des Arts, TheBookEdition, Lille, 2020.

(2) C.F notamment l’article du quotidien Le Monde, paru le 20 décembre 1967 : L’Orphelinat des arts fête ses quatre-vingts ans.

(3) Angelo Mariani en 1898 s’engage dans l’organisation de la Fraternité artistique de Courbevoie œuvre jumelle de l’orphelinat des arts pour les garçons en qualité de vice-président. En 1912 il fait réaliser une médaille en bronze d’un diamètre de 41 mm pour un poids de 35 grammes par son ami Corse Louis Patriarche. Le but étant de mettre en valeur l’union des deux entités : orphelinat des arts pour les filles et fraternité artistique pour les garçons.

Pièce commémorative de Patriarche pour l’orphelinat des Arts et la fraternité artistique. (Avers).

Pièce commémorative de Patriarche pour l’orphelinat des Arts et la fraternité artistique. (Revers).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(4) Exposition : La Peinture comme l’aimaient nos grands-pères raconte l’histoire de l’Orphelinat des Arts. Ville de Courbevoie, Musée Roybet-Fould. 16 décembre 1967-31 janvier 1968. Catalogue rédigé par Florence Poisson et Françoise Escoffier-Robida, Paris : Les Presses artistiques, 1967, dépôt légal n° 540.

 

de Florence Poisson et Françoise Escoffier-Robida.

 

 

Juana Romani et Angelo Mariani

   Cela faisait quelque temps déjà qu’il nous paraissait important de devoir évoquer le parcours d’une femme dénommée Juana Romani dans le premier cercle des amis d’Angelo Mariani. L’occasion vient de nous en être donnée par l’un de ses descendants (Gabriele Romani). Ce dernier avec Tiziana d’Acchille, Présidente et directrice de l’Académie des beaux arts de Rome nous contactèrent en juillet 2017. Ils souhaitaient obtenir un éclairage historique sur la relation culturelle entre Angelo Mariani le mécène corse et Juana Romani d’origine italienne pour une rétrospective intitulée : Juana Romani. La petite Italienne. Du modèle au peintre à Paris, fin de siècle. Ce que nous fîmes avec grand plaisir. L’exposition en l’honneur de Juana Romani eut lieu à Velletri (sa commune natale à 30 kilomètres au sud de Rome) dans le merveilleux couvent du Carmel du 22 décembre 2017 au 28 janvier 2018, accompagné d’un très beau catalogue raisonné édité par la célèbre maison d’Édition : L’Erma de Bretschneider avec plusieurs textes élaborés par Marco Nocca, Gabriele Romani, Alessandra de Angelis, Francesca Sacchini. Introduction de Mario Alì et Tiziana d’Acchille, Fausto Servadio et Luca Masi de la commune de Velletri, de Claudio Micheli, Directeur artistique à la Fondation Art et Culture, et aussi Mme Consuelo Lollobrigida. Sans oublier Claire Bessède, Marion Lagrange, Emmanuelle Trief-Touchard, Diane Poirier, Laura Malosetti Costa et Georgina Gluzman, Cesare Erario, Pier Luigi Berto, Renato Mammucari, Umberto Savo et nous-mêmes. Selon plusieurs médias italiens, rien que pour la presse écrite, cet événement artistique connut un réel succès à l’image de l’article de Lorenzo Madaro dans La Republica du 23 décembre 2017 ou bien celui de  Edoardo Sassi le même jour dans le Corriere della Sera.

Extrait. Couverture de l’ouvrage de l’exposition.

L’entrée. Dr : Gabriele Romani.

Dans le vestibule ou en moyenne 120 personnes chaque jour sont passées afin d’admirer l’évocation de Juana Romani. Dr : Gabriele Romani.

La salle principale. Dr : Gabriele Romani.

Dr : Gabriele Romani.

Dr : Gabriele Romani.

Dr : Gabriele Romani.

Dr : Gabriele Romani.

Dr : Gabriele Romani.

 

Voici donc maintenant le texte en question : La peintre Juana Romani et son éclosion à Paris grâce notamment à l’aide discrète d’Angelo Mariani.

   Quand on lit les nombreuses contributions récentes concernant l’œuvre artistique de Juana Romani, on ne peut être surpris qu’à chaque fois, on croise l’évocation régulière de ce mystérieux Angelo Mariani. Commençons donc par ce personnage.

   En sa qualité de mécène, il offre à Paris en cette fin de XIXe siècle, la possibilité aux artistes remarqués de toute nationalité de les aider notamment financièrement. C’est le cas de Juana Romani, qui a été à la fois soutenue et aimée de deux hommes : l’écrivain Armand Silvestre (1837-1901) et le peintre Ferdinand Roybet (1840-1920). Eux-mêmes étaient bien entendu en contact avec Angelo Mariani. C’est pourquoi ce dernier présente dès son 2e album Mariani en 1896, Juana Romani. C’est donc à ce titre qu’Armand Silvestre rédige en préambule de ce volume ces quelques lignes à son sujet : «Une toute jeune gloire, mais combien étincelante déjà : celle de Juana Romani, dont le succès va grandissant aux Salons annuels des Champs-Élysées, artiste de son pays, petite fille du Titien qui sait chiffonner, au besoin, des robes à la parisienne. C’est l’interprète naturel, trouvant en elle-même comme le trésor où elle puise, de la beauté féminine, mais aussi l’interprète viril par la puissance de l’exécution. La beauté et le talent ne furent jamais, je crois, mariés plus étroitement en un être impérieusement né pour l’art et pour la séduction, merveilleusement douée et cependant volontaire, travailleur admirable dont l’œuvre grandit comme s’épanouit une véritable floraison».

Album Mariani , Tome 2, 1896.

   On constate en outre que Juana n’hésite pas à se mettre en scène avec plusieurs bouteilles de vin Mariani à la coca et une branche de cet arbuste (1). À cela s’ajoute une petite phrase bien agréable : C’est le rêve. À Angelo Mariani le plus sympathique des amis. Juana Romani.

   Mais cela ne s’arrête pas là. Car Angelo Mariani en janvier 1899 met en avant de nouveau Juana Romani à travers ses encarts publicitaires qui vont devenir en 1896 le Supplément illustré ayant comme soustitre Figures contemporaines. Par la suite, ils accompagnent la sortie de chaque Album Mariani. À partir de 1905, le tirage de chaque supplément qui se compose de 80 personnages vantant les mérites des produits Mariani avoisine les 800 000 exemplaires. Dans ce quatrième supplément, où l’on peut admirer le Président U.S Mac Kindley, mais aussi le Pape Léon XIII, consommateurs du vin à la coca Mariani, on voit notre Juana Romani saluer Angelo Mariani en ces termes :

Le Journal, supplément illustré, 3e série janvier 1899, première page.

Le Journal, supplément illustré, 3e série janvier 1899, 15e page.

Le Journal, supplément illustré, 3e série janvier 1899, extrait de la 15e page.

À Angelo Mariani.

Après un bon macaroni,

Qui de coca se désaltère

Connait le bonheur sur la terre

C’est mon cas.

Juana Romani. (Janvier 1899).

   C’est un petit mot, semble-t-il, sans grande importance, à première vue. Cependant mine de rien, il a une réelle histoire. Que voici. En février 2001, fut publié à Biguglia en Corse, le premier ouvrage dédié à l’aventure d’Angelo Mariani (2). En parcourant ce beau livre, on put observer la reproduction d’un menu rédiger en italien par Ferdinand Roybet et daté du mardi 6 septembre 1898. Cet élément iconographique novateur apporte plusieurs informations (3).

Menu de Ferdinand Roybet in Jean-Michel et Toussaint Alessandrini, L’histoire de la première boisson à la coca, Éditions Stamperia Sammarcelli, Biguglia, 2001.

    La première est que Juana Romani fut l’invitée d’honneur avec sa mère Marianna Romani chez Angelo Mariani, au 11 rue Scribe près de l’opéra à Paris. La seconde, correspond à l’idée que Juana Romani à de surcroît de la mémoire, car elle reprendra le terme italien de maccheroni en macaroni pour illustrer à son tour en français sa publicité au vin Mariani, à peine quelques mois plus tard. Enfin tous les invités présentés sur ce menu font partie du premier cercle restreint d’amis d’Angelo Mariani (Juana et Marianna Romani, Charles Albert Waltner, Ou-Tai-Tchang, Enrique Atalaya, Xavier Paoli et bien sûr Ferdinand Roybet).

    Avec ce dernier, dont elle est devenue l’élève, c’est une autre histoire. Juana Romani se transforme vers 1890, en son égérie et maîtresse selon l’universitaire Marion Lagrande (4). En l’espace d’une décennie à ses côtés, elle est enfin reconnue en sa qualité de femme peintre de renommée internationale. Cela fait dire de la part du journal Le Figaro, du 30 avril 1898 que : « Mlle Juana Romani peint maintenant avec plus de souplesse et d’éclat que son maître Roybet lui-même…». L’élève a donc dépassé le maître. Celui-là-même qui exécutera plus tard le portrait d’Angelo Mariani.

Portrait d’Angelo Mariani (extrait) réalisé par Ferdinand Roybet, 1910, collection particulière, Paris. Cf, la lettre de la SAAM, n°16.

Mais qui est vraiment Angelo Mariani?

   À la fin du XIXe siècle, un curieux remontant médicinal fait son apparition sur le marché parisien. Il s’agit d’un mélange à base de vin de Bordeaux et de feuilles de coca, né en 1863 à Bastia en Corse. Il remporte ipso facto un franc succès sous le nom de : Vin Mariani. Nous sommes à la fin de l’année 1871, au sortir de la guerre contre les Prussiens. Son inventeur, un corse originaire d’un très beau village dénommé Pero-Casavecchie, est un personnage hors du commun, grand thuriféraire de la coca devant l’Éternel. Il fut aussi sans le savoir et de manière bien involontaire, au départ de la très célèbre boisson américaine : Coca-Cola. En effet, son breuvage Mariani (le vin à base de coca) servit de concept de base (French wine coca) pour le pharmacien John Pemberton à Atlanta (USA). Et oui le Coca-Cola symbole de l’Amérique ou même titre que la statue de la Liberté (5) a bien une origine française. Et ce, bien qu’aujourd’hui cette multinationale U.S, tait son origine…mais Mariani, ce n’est pas que cela ! C’est surtout le mécène providentiel pour bon nombre d’artistes français ou non, hommes ou femmes (peintres, écrivains, sculpteurs, poètes, graveurs, musiciens, dessinateurs, chanteurs) au début du XXe siècle… N’oublions pas enfin qu’il fut l’un des tout premiers publicistes en France (6).

   D’ailleurs une multitude d’objets publicitaires à la consécration d’Angelo Mariani se font jour. Que dire en effet de son don pour la réclame ? Outre sa célèbre série de figures contemporaines (7) qui réunit les plus grandes personnalités (8) de la belle époque, il lance sur le marché en parallèle à son vin d’innombrables produits dérivés à vocation sanitaire. C’est ainsi que voit le jour un thé Mariani connu sous le vocable d’extrait concentré de coca, mais aussi des pâtes toniques et pectorales (losange de gomme, de sucre et de coca) et les pastilles Mariani (composées de 2 milligrammes de cocaïne associée à de la gélatine) sans oublier un élixir (plus alcoolisé et contenant trois fois plus de cocaïne). Mariani n’hésite pas non plus dans la foulée à acheter des pages entières de suppléments (9) dans divers journaux comme Le Gaulois, ou bien encore Le Temps et Le Figaro afin d’informer le grand public de l’existence de son célèbre vin médicinal aux feuilles de coca. Il poursuit son offensive commerciale et culturelle par l’édition d’ouvrage à la gloire de ce végétal sous la forme de contes. C’est la création de buvards frappés du nom de son entreprise et surtout une série de 150 cartes postales à la gloire de son vin (10). Cet élément publicitaire créé en 1910 était destiné à être expédié par la poste en cinq pochettes contenant un jeu de trente cartes. De type monochrome, ces cartes étaient distribuées en grandes quantités. L’ensemble étant vendu au prix modique de dix centimes de l’époque. Très rares sont les cartophiles de nos jours qui peuvent prétendre être en possession de la totalité de ces cartes postales (11).

   Mieux, Angelo Mariani propose des enveloppes recouvertes de publicités à la gloire de son vin. Ces plis publicitaires légalement utilisés par la poste reprenaient entre autres la représentation d’un enfant s’abreuvant du divin produit… À ce stade de notre étude, le plus simple, peut être pour tenter de répondre à cette exigence, est de s’arrêter un instant sur la propre chronologie de ce Corse afin de découvrir des liens pour le moins étonnant (cf l’encadré de la chronologie d’Angelo Mariani). À cela, on y ajoute une iconographie qui nous fut offerte par l’historienne, Mme Françoise Escoffier-Robida (1911-2006) qui avait gardé le souvenir d’Angelo Mariani. Notons enfin que cette dernière publiait dès 1967 un court texte fondateur sur l’existence d’Angelo Mariani dans le cadre d’un catalogue pour le musée Roybet-Fould.

Portrait par Nadar d’Angelo Mariani en 1878 à Paris.

   Peut être que les descendants de la famille de Juana Romani à l’image de Gabriele Romani auront à l’idée de célébrer cette exposition et ce catalogue à la gloire de leur ancêtre en ce mois de décembre 2017 à Rome. Mais de grâce qu’ils n’utilisent pas de champagne ou tout autre breuvage, mais un bon Vin Mariani à la coca (12) comme leur aïeule pour honorer ce moment.

Bouteille Mariani servant d’illustration pour les Albums Mariani.

   Car oui ce célèbre breuvage a pu ressuscité (13) grâce à l’abnégation d’un dénommé Christophe Mariani (14). Cela ferait à coup sûr plaisir à une certaine Juana Romani qui eue le privilège de rencontrer à plusieurs reprises notre Angelo Mariani.

                                                       À la Forêt Fouesnant, le 12 octobre 2017, Alain Delpirou.

 Encadré : Ange-François dit Angelo Mariani (1838-1914).

1838 : Naissance d’Ange-François Mariani à Pero-Casevecchie, (Corse) le 17 décembre.

1848 : Xavier Mariani, le père d’Ange-François en sa qualité d’apothicaire reconnue quitte son village de Pero-Casevecchie et s’installe à Bastia, boulevard du Palais, avec toute sa famille.

1863 : Ange-François observe son père dans la préparation des médicaments. Selon la tradition familiale, Ange-François Mariani qui est un autodidacte met seul au point la première boisson à la coca à Bastia.

1864 : Ange-François Mariani quitte son île natale avec sa recette en tête. Il s’installe à Bois-Colombes en région parisienne et exerce le métier de préparateur en pharmacie. Le soir de retour chez lui, il réalise de nombreuses créations pharmaceutiques à base de coca. Il étudie aussi les propriétés du quinquina.

1865 : À Paris, Angelo Mariani rencontre le célèbre docteur Charles Fauvel qui lui commande plusieurs breuvages avec de la coca. Mariani produit quelques échantillons de vin de coca. Il déménage rue Vaneau et travaille à la pharmacie Mondet au coin de la rue Bellechasse et de la rue du Faubourg St-Germain à Paris. Mariani constate alors qui n’est déjà plus le seul à produire en petite quantité ce liquide spécial dans la capitale. De nombreux vins à base de coca, en effet, sont en vente à l’image de ceux proposés par le docteur Chevrier. Les produits médicinaux de Mariani sont alors mis en parenthèses avec les débuts de la guerre Franco-prussienne (1870-1871).

1871 : Ange-François devient officiellement pharmacien de 1er rang et modifie son prénom en Angelo.

1875 : La réussite est au rendez-vous. Le vin Mariani inonde le monde. Mariani ouvre ses bureaux et un lieu de fabrication aux 10-12, rue de Chartres à Neuilly-sur-Seine. À cela s’accompagnent de grands entrepôts et autres caves sous la responsabilité d’ouvriers et de contremaîtres, tous originaires de Corse et plus particulièrement de son village natal. Son entreprise est enregistrée sous l’appellation de marchand de produits pharmaceutiques. Il ouvre sa propre pharmacie au 41 boulevard Haussmann. Et c’est ainsi que pendant plus de 50 ans le vin Mariani va être une réussite commerciale mondiale.

1879 : Le pharmacien américain Pemberton crée la J.S Pemberton & Company à Atlanta (E.U).

1885 : Franck Robinson un publiciste avisé, croise la route de Pemberton. Ils décident de s’associer. Cependant la ville d’Atlanta interdit la vente d’alcool pour le 1er juillet 1886. Cet arrêté municipal oblige Pemberton et son compère à revoir toutes leurs préparations. Pendant ce temps le vin Mariani traverse l’Atlantique. Et conquiert l’Amérique (a). Sur place, il suscite des imitations. Le breuvage lancé par John Stith Pemberton ne peut d’ailleurs pas cacher ses origines : «Le vin français de coca, idéal pour les nerfs, tonique et stimulant ». Sa dénomination officielle étant : French Wine of coca, Ideal Tonic (b). Pour se différencier du produit français et éviter un hypothétique procès, Pemberton ajoute dans sa préparation une base issue de graines de kola. Il mélange du coup les multiples alcaloïdes de la coca avec ceux de la noix de kola. Persuadé de sa réussite, il déclare qu’il « produit une meilleure préparation à celle de Mariani». Et Pemberton ainsi libéré de ses inquiétudes continue ses recherches. Il fait disparaître le vin et apporte de nouveaux arômes, et de l’eau gazeuse.

1886 : Pemberton dépose la marque Coca-Cola et se retrouve l’unique propriétaire sans se soucier de ses anciens associés. La première publicité pour Coca-Cola paraît en mai, dans l’Atlanta Journal.

1907 : 10 millions de bouteilles de vin Mariani d’une contenance de 50 cl et pour un prix unitaire de 5 francs ont déjà vu le jour depuis 1872 dans les entrepôts de Neuilly-sur-Seine. Sans parler des premières séries produites à Bastia, et ce dès 1863.

1914 : Décès un premier avril d’Angelo Mariani dans sa villa Andréa à Valescure (St-Raphaël, Var). À cette date la production a atteint son zénith avec un total de 12 millions de bouteilles pour une période de quatre décennies.                                              A.D.

(a) Il y a l’épisode du Président Ulysses Grant qui dirige le pays de 1869 à 1877. Ce personnage décède en juillet 1885. Durant sa maladie, il utilise le vin Mariani, sur les conseils de son entourage. Il semble que le produit atténua ses souffrances et allongea un temps la vie de l’ancien dirigeant américain. Du coup, de nombreux Américains vont chercher à en savoir plus sur ce vin français, composé de feuilles de coca.

(b) Atlanta Evening Capitol, 2 janvier 1886.

Depuis en 2018.

   Il nous semble important en ce mois de février 2018 de préciser au moins trois points complémentaires concernant Juana Romani par l’intermédiaire d’Angelo Mariani. Comme en premier lieu sa maîtrise parfaite de la langue française via la lecture du document ci-dessous issu de l’ouvrage : Les peintres et la couleur publié en 1902 aux Éditions Lefranc et Compagnie à Paris.

Dr. Collection particulière.

   Dans ce livre apparaît aussi bien entendu Ferdinand Roybet. Même chose avec son impact international comme le souligne aux États-Unis son évocation dans le New York Times du 3 décembre 1905. Car en effet,  Juana Romani fut connue aux États-Unis en général et à New York en Particulier, suite à la publication en 1896 de l’ouvrage : Portraits from Album Mariani.

Format de poche (6 par 12 cm) à grand tirage. Dr. Collection privée.

Version américaine de l’Album Mariani n°2, 1896 et éditée à New York par les soins de Julius Jaros, beau-frère d’Angelo Mariani.

   Ou bien encore en Espagne avec la très renommée revue La Ilustracion Artistica du 9 mars 1903 et du 23 octobre 1916. Et que dire des exploitations publicitaires en France, avec des encartages dans plusieurs revues de forts tirages à l’image de La Grande dame dirigé par François Guillaume Dumas, le 1er février 1894 ou bien encore avec la Simple revue en juin 1896.

Revue La Grande Dame, février 1894.

   En outre, il s’avère qu’en ce début de XXIe siècle l’aventure de Juana Romani se poursuit. D’après plusieurs sources telle La Tribune de l’Art, du 22 janvier 2018, une exposition monographique centrée sur La petite Italienne est déjà prévue pour le début 2019 au musée Roybet-Fould à Courbevoie (92, Hauts-de-Seine). Organisée entre autres par Marion Lagrange, maîtresse de conférences en histoire de l’art contemporain à l’université de Bordeaux-Montaigne. Pour le plaisir, ajoutons enfin que Ferdinand Roybet fut le peintre attitré d’Angelo Mariani, sans parler de ces nombreuses participations dans l’iconographie publicitaire à la gloire du Vin Mariani à la coca. Comme en témoigne la vignette ci-dessous.

Dr. Collection particulière.

   Sans faire non plus l’impasse toujours à Courbevoie de l’Orphelinat des arts, institution subventionnée à l’époque en grande partie par Angelo Mariani et/ou Isabelle Chapusot sa compagne. Enfin, soyons certains que cette future présentation culturelle à Courbevoie aura sans aucun doute la présence de l’âme voyageuse et bienfaitrice de Juana Romani. Elle repose en effet à Suresnes dans une sépulture quelque peu abîmée par l’oubli et les affres du temps à moins de 6 kilomètres à vol d’oiseau de ce musée.

Dr.

Dr.

Dr.

   On allait oublier un dernier point en commun entre Juana Romani et Angelo Mariani. L’un comme l’autre n’ont toujours pas de rues, ni même de timbres-poste en France à leurs patronymes…Allez comprendre pourquoi ?                                             A.D

Notes :

(1) On peut émettre à ce stade de notre étude une hypothèse de travail. Est-ce que Juana Romani a eu la chance de visiter les deux serres de coca situées au 10-12 rue de Chartres à Neuilly-sur-Seine, au vu de la qualité de la représentation graphique réalisée par ses soins de cette branche végétale ?

(2) Jean-Michel et Toussaint Alessandrini, L’histoire de la première boisson à la coca, Éditions Stamperia Sammarcelli, Biguglia, 2001.

(3) Il est important de préciser l’existence des travaux innovants de l’universitaire Sandrine Doré sur cette question à l’image d’une de ses publications intitulée : un artiste à la table d’Angelo Mariani, menus et publicités illustrés par Robida in la revue le Téléphonoscope, octobre 2007, n°14.

(4) Communication de Marion Lagrande, Maîtresse de conférences à l’Université Bordeaux-Montaigne, intitulée : Maîtresse de.. élève de… Juana Romani et les attaches artistiques de la parentèle, lors du colloque international du 23 et 24 septembre 2016, organisé à Poitiers.

(5) «La coca semble grandir toutes vos facultés, il est probable que si je l’eusse connue il y a vingt ans, la statue de la Liberté aurait atteint une centaine de mètres !» s’est un jour exclamé le sculpteur français Frédéric Auguste Bartholdi. Il s’en est fallu de peu que le phare de l’île de Bedloe (46 mètres) à New York ne fût construit par un adepte du vin Mariani.

(6) «Mariani Angelo (1838-1914) mécène de la publicité», par Fred Robida, Le Vieux Papier avril 1976.

(7) «Suite aux 14 albums Mariani», par Paul Vital-Durand, Le Vieux Papier juillet 1980.

(8) «Le vin Mariani» par Louis Cotinat, Le Vieux Papier, octobre 1976. Ces albums Mariani réunissent plus de mil signatures et portraits dans un ensemble de 14 ouvrages.

(9) Ces suppléments sont des fascicules gratuits de quatre, huit et parfois seize pages à la gloire du vin Mariani.

(10) Albert Robida reprend son célèbre dessin des albums Mariani pour une carte postale située dans la 4e série.

(11) Ces cartes postales au format (9×14) sont très recherchées par les collectionneurs avisés. Une série complète en 2012 se négociait aux alentours de 4 000 euros.

(12) Florence Poisson et Françoise Escoffier-Robida, La peinture comme l’aimaient nos grands-pères raconte l’histoire de l’orphelinat des Arts : [exposition] : Courbevoie, musée Roybet-Fould, 16 décembre 1967-31 janvier 1968, Éditions Les Presses Artistiques à Paris.

(13) J.-J.G, Le vin tonique Mariani repart à la conquête du monde, Corse-Matin, 2 janvier 2017. On peut consulter le site dédié à ce nouveau produit : vinmariani.fr

(14) Stéphane Reynaud, Le grand retour du vin Mariani, Le Figaro, 28 février 2017 et Ghjilormu Padovani, Le vin corse Mariani en passe de conquérir… la Bolivie, Corse-Matin, 14 mars 2017.

Mais qui était donc en réalité Angelo Mariani pour la famille d’Albert Robida ? (II) suite.

   À la fin du XIXe siècle, un curieux remontant médicinal fait son apparition sur le marché parisien. Il s’agit d’un mélange à base de vin de Bordeaux et de feuilles de coca. Il remporte ipso facto un franc succès sous le nom de : Vin Mariani. Nous sommes à la fin de l’année 1871, au sortir de la guerre contre les Prussiens. Son inventeur, un corse originaire d’un très beau village dénommé Péro-Casavechie, est un personnage hors du commun, grand thuriféraire de la coca devant l’Éternel.

mariani jeunea DNB

Angelo Mariani agé de 28 ans. Photographie réalisée par Nadar.

   Il fut aussi sans le savoir et de manière bien involontaire, au départ de la très célèbre boisson américaine : Coca-Cola. En effet, son breuvage Mariani (le vin à base de coca) servit de concept de base (French wine coca) pour le pharmacien John Pemberton à Atlanta (USA). Eh oui, le Coca-Cola symbole de l’Amérique ou même titre que la statue de la Liberté (1) a bien une origine française. Et ce, bien qu’aujourd’hui cette multinationale U.S, tait son origine…mais Mariani, ce n’est pas que cela ! C’est surtout le mécène providentiel pour bon nombre d’artistes français ou non (peintres, écrivains, sculpteurs, poètes, graveurs, musiciens, dessinateurs, chanteurs) au début du XXe siècle… N’oublions pas enfin qu’il fut l’un des tout premiers publicistes en France (2).

   D’ailleurs une multitude d’objets publicitaires à la consécration d’Angelo Mariani se font jour. Que dire en effet de son don pour la réclame ? Outre sa célèbre série de figures contemporaines (3) qui réunit les plus grandes personnalités de la belle époque, il lance sur le marché en parallèle à son vin d’innombrables produits dérivés à vocation sanitaire. C’est ainsi que voit le jour un thé Mariani connu sous le vocable d’extrait concentré de coca, mais aussi des pâtes toniques et pectorales (losange de gomme, de sucre et de coca) et les pastilles Mariani (composées de 2 milligrammes de cocaïne associée à de la gélatine) sans oublier un élixir (plus alcoolisé et contenant trois fois plus de cocaïne).

Boite en inox au fond vert et à la caligraphie en or produite par la pharmacie d'Angelo Mariani située 41 bld Haussmann à Paris afin d'emballer une pâte tonique et pectorale à la coca du Pérou.

Boite en inox au fond vert et à la calligraphie en or produite par la pharmacie d’Angelo Mariani située 41 bd Haussmann à Paris pour emballer une pâte tonique et pectorale à la coca du Pérou.

Terpine Mariani à la coca. Produit composé notamment de 40 % d'alcool et de 5,6 % de coca

Terpine Mariani à la coca. Produit composé notamment de 40 % d’alcool et de 5,6 % de coca.

   Mariani n’hésite pas non plus dans la foulée à acheter des pages entières de suppléments (4) dans divers journaux comme Le Gaulois, ou bien encore Le Temps et Le Figaro afin d’informer le grand public de l’existence de son célèbre vin médicinal aux feuilles de coca.

Supplément illustré Le Gaulois, novembre 1908, treizième série.

Supplément illustré Le Gaulois, novembre 1908, treizième série, avec en première page le Président argentin : Figueroa Alcorta.

   Il poursuit son offensive commerciale et culturelle par l’édition d’ouvrage à la gloire de ce végétal sous la forme de contes. C’est la création de buvards frappés du nom de son entreprise et surtout une série de 150 cartes postales à la gloire de son vin. Cet élément publicitaire créé en 1910 était destiné à être expédié par la poste en cinq pochettes contenant un jeu de trente cartes. De type monochrome, ces cartes étaient distribuées en grandes quantités. L’ensemble étant vendu au prix modique de dix centimes de l’époque. Très rares sont les cartophiles de nos jours qui peuvent prétendre être en possession de la totalité de ces cartes postales (5).

CPA enveloppe a DNB

Carte postale illustrant les travaux du statuaire Louis Noël.

CPA enveloppe b DNB   Mieux, Angelo Mariani propose de surcroît des enveloppes recouvertes de publicités à la gloire de son vin. Ces plis publicitaires légalement utilisés par la poste reprenaient entre autres la représentation d’un enfant s’abreuvant du divin produit…

enveloppe a DNBEt cela allait jusqu’au niveau du timbre….

Timbre CPA enveloppe b DNB   À ce stade de notre étude, n’oublions pas l’importance tout d’abord d’Émilie Robida qui illustrera plusieurs ouvrages comme Le château de la grippe, écrits par son père Albert Robida, aux Éditions Henry Floury (Paris) en 1904, pour la célèbre collection  Contes à Mariani.

 Couverture du conte intitulé : Le château de la grippe.


Couverture du conte intitulé : Le château de la grippe.

 Page intérieure de présentation.


Page intérieure de présentation.

 Une illustration parmi d'autres réalisée par Emilie Robida.


Une illustration parmi d’autres réalisée par Émilie Robida.

   Sans oublier l’historienne Mme Françoise Escoffier Robida (1991-2006) que nous avons eu le grand plaisir de rencontrer à plusieurs reprises. Notons que cette dernière publiait dès 1967 un court texte fondateur sur l’existence d’Angelo Mariani dans le cadre d’un catalogue pour le musée Roybet-Fould (6). N’oublions pas non plus les apports de Frédéric Robida. En avril 1976, il rédige dans la revue Le vieux papier un très beau texte de quatre pages intitulé : Mariani Angelo (1838-1914) mécène de la publicité (7). À cela, s’ajoute le fait que le 23 mars 1987, à l’Hôtel Drouot à Paris, la collection particulière de livres anciens et modernes d’Angelo Mariani était vendue. À cette occasion, plusieurs aquarelles originales d’Albert Robida changèrent de mains.

robida o DNB

Portrait Albert Robida. Gravure sur bois par Brauer, 1894. Album Mariani, Tome 1.

robida j DNB

Gravure publicitaire de Robida parue dans le tome 1 de l’album Marini en 1894.

   Enfin peut-être est-il bon de savoir que la réserve spéciale de la Bibliothèque Nationale de France détient toujours à ce jour deux dessins de Robida qui n’ont pas encore officiellement édités : À savoir : « Le crime illustré/les forfaits de la coca (avec Mariani aux fers) » et : « Une forteresse avec une banderole : Vin Mariani, se défend en versant des bouteilles de Mariani contre les monstres assaillants, c’est-à-dire les maladies ». Au pied et sous le titre : « À l’assaut ! Quand la forteresse est approvisionnée de vin Mariani, la féroce anémie et tout le corps d’armée peuvent rôder autour des murailles et grincer les dents tout à leur aise, rien à mordre ! ».

A.D

(1) « La coca semble grandir toutes vos facultés, il est probable que si je l’eusse connue il y a vingt ans, la statue de la Liberté aurait atteint une centaine de mètres ! » s’est un jour exclamé le sculpteur français Frédéric Auguste Bartholdi. Il s’en est fallu de peu que le phare de l’île de Bedloe (46 mètres) à New York ne fût construit par un adepte du vin Mariani.

(2) « Mariani Angelo (1838-1914) mécène de la publicité », par Fred Robida, Le Vieux Papier, avril 1976.

(3) « Suite aux 14 albums Mariani », par Paul Vital-Durand, Le Vieux Papier, juillet 1980 et « Le vin Mariani » par Louis Cotinat, Le Vieux Papier, octobre 1976. Ces albums Mariani réunissent plus de mil signatures et portraits dans un ensemble de 14 ouvrages.

(4) Ces suppléments sont des fascicules gratuits de quatre, huit et parfois seize pages à la gloire du vin Mariani.

(5) Ces cartes postales au format (9×14) sont très recherchées par les collectionneurs. Une série complète en 2012 se négociait aux alentours de 4 000 euros.

(6) Poisson, Florence et Escoffier-Robida, Françoise, La peinture comme l’aimaient nos grands-pères raconte l’histoire de l’orphelinat des Arts : [exposition] : Courbevoie, musée Roybet-Fould, 16 décembre 1967-31 janvier 1968, Éditions Les Presses Artistiques à Paris.

(7) Le Vieux Papier, Tome 28, fascicule 260, avril 1976.

Pour plus d’informations,  Cf, le livre suivant :

livreangelomariani1.jpeg

Angelo Mariani : L’inventeur de la première boisson à la coca.

Editions Anima Corsa juin 2014 Bastia.

5 boulevard Hyacinthe de Montera.

Christophe Canioni : 04 95 31 37 02.

Et aussi sur le site Amazon.