Angelo Mariani et la coca dans les pas d’Albert Robida (I).

   En préambule tout d’abord à toutes et à tous mes meilleurs vœux pour l’année 2015. Ensuite nous avons décidé d’améliorer et d’actualiser un texte paru en novembre 2012 dans la revue Le Téléphonoscope n° 19 de l’association des amis d’Albert Robida et intitulé : Angelo Mariani, promoteur de vin à la coca.

Revue Le Téléphonoscope n° 19, novembre 2012.

Revue Le Téléphonoscope n° 19, novembre 2012. Couverture et sommaire.

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Angelo Mariani, promoteur du vin à la coca et mécène, p 33.

Angelo Mariani, promoteur du vin à la coca et mécène, p 34.

Angelo Mariani, promoteur du vin à la coca et mécène, p 34.

   Dans cette logique on présentera maintenant ce nouveau texte composé d’éléments nouveaux en deux parties (janvier et février 2015).

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   Lorsque l’on s’intéresse à l’œuvre gigantesque d’Albert Robida (1), on s’aperçoit assez régulièrement qu’apparaît dans son sillage, le nom d’Angelo Mariani. Et ce, sur une très longue période. Chose d’ailleurs d’autant plus étonnant, que ce dernier est considéré à son époque comme un simple aide-pharmacien corse et négociant en vin médicinal installé à Neuilly-sur-Seine. En clair, un homme d’affaires. Bien loin du milieu artistique et intellectuel de la Ville lumière. Comment donc ces deux hommes, que tout oppose, vont-ils malgré tout, se rencontrer et surtout sympathiser sur plus d’un demi-siècle (2) ?

Angelo Mariani, agé de     et photographié par Nadar.

Angelo Mariani, agé de 40 ans  et photographié par Nadar en 1878.

Gravure réalisée par Lalauze en             représentant Albert Robida.

Gravure à l’eau forte réalisée par Adolphe Lalauze et représentant Albert Robida, en 1892.

   Tout a peut être débuté par le premier dessin connu publié par Albert Robida, à peine installé à Paris, en novembre 1866 dans Le journal amusant. Mariani est quant à lui déjà présent dans la capitale. C’est aussi un autodidactique. Il dévore la presse. Il choisit les personnes en avance dans leur temps et selon les mérites qui pourraient l’aider dans la connaissance de la plante coca en rapport à la santé. Surtout dans un but médiatique. Il sera ainsi l’un des éditeurs d’Albert Robida. Mieux Angelo Mariani deviendra le parrain républicain de Philippe, le premier fils d’Émilie Robida (3), fille d’Albert.

Émilie Robida, autoportrait 1904.

Émilie Robida, autoportrait 1904.

   Et surtout Albert Robida dédicacera l’une de ses œuvres magistrales en 1890  (La Vie électrique : le XXe siècle à son ami : Angelo Mariani) tout en réalisant un ex-libris de toute beauté là encore à l’attention d’Angelo Mariani.

Ex-libris réalisé par Albert Robida et représentant Angelo Mariani.

Ex-libris réalisé par Albert Robida et représentant Angelo Mariani.

   Sans parler des nombreuses publicités comme celles du 13 mars 1877, du 13 décembre 1902 publiées dans La vie parisienne.(Ci-dessous extrait).

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Extrait d’une publicité Mariani parue dans La Vie Parisienne du 13 mars 1877 et réalisée par Albert Robida.

   Tout comme aussi celle parue dans Le courrier français du 10 février 1895.

DSCF3840   Même logique en 1896 avec la publication d’un recueil de poésies intitulé : Le Parnasse hippocratique (4), tirés de différents auteurs parfois grivois « plus ou moins drolatiques sur les sujets hippocratiques de genres divers, hormis celui d’ennuyeux » selon son organisateur le Docteur Minime en réalité Auguste Lutaud illustré par Albert Robida. C’est ainsi que l’on peut y lire une très belle poésie dénommée La coca de Maurice Bouchor et y observer une magnifique bouteille de vin Mariani qu’il l’accompagne et dessinée bien entendu par Robida.

Mamacoca apparaissant aux Européens devant une bouteille Mariani. Carte postale Mariani illustrée par Robida.

MamaCoca apparaissant aux Européens devant une bouteille Mariani. Carte postale Mariani illustrée par Robida. En arrière plan on distingue les trois bateaux de l’expédition de Christophe Colomb à savoir La Pinta, la Nina et la Santa Maria.

    Mariani sait renvoyer l’ascenseur. Il contacte son ami américain, le New-yorkais William Golden Mortimer qui prépare un ouvrage sur la coca.

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William Golden Mortimer représenté dans la deuxième édition de la traduction française intitulée : Histoire de la coca, la plante divine des Incas, Édition Maloine, Paris, 1904. À partir de son ouvrage intitulé : Peru : History of coca Edition J.H. Vail, New York, 1901.

   Mortimer dernier lui commande une illustration sur le thème de la rencontre de cette plante avec l’occident. Robida réalise cette commande en peu de temps. Et il ne va pas être déçu, car sa gravure va faire le tour de la planète par le biais de cet ouvrage en langue anglaise. Ce livre paraît en 1901. C’est en grande partie la consécration du travail de Mariani.

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Illustration en frontispice de l’ouvrage rédigé par William Golden Mortimer, intitulé : Peru : History of coca, Edition J.H. Vail, New York, 1901.

Variante de la précédente gravure :

MamaCoca apparaissant aux Espagnols en 1492 sur le continent sud-américain.

   MamaCoca apparaissant aux Espagnols en 1492 sur le continent sud-américain, publié dans l’ouvrage intitulé :  Histoire de la coca, la plante divine des Incas, Edition Maloine, Paris 1904. Illustration en frontispice de l’ouvrage traduit par H.B Gausseron et rédigé par William Golden Mortimer : Peru : History of coca, Edition J.H. Vail, New York, 1901.

A.D

 (1) Il me paraît important de citer en premier lieu les travaux de Mme Doré Sandrine sur la relation entre Mariani et Robida, comme celui d’octobre 2007 : Un artiste à la table d’Angelo Mariani, menus et publicités illustrés par Albert Robida, in Le Téléphonoscope n° 14.

(2) M. et Mme Robida née Cécile Noiret et Mlle Émilie Robida sont présentes à l’enterrement d’Angelo Mariani en avril 1914 à Paris.

(3) Émilie Robida illustrera plusieurs ouvrages comme Le château de la grippe, écrits par son père Albert Robida, aux Éditions Henry Floury (Paris) en 1904, pour la célèbre collection  Contes à Mariani.

(4) Robida, Albert, et Minime (Docteur), Le Parnasse hippocratique, Éditions, A. Maloine, Paris, 1896.

Pour plus d’informations,  Cf, le livre suivant :

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Angelo Mariani : L’inventeur de la première boisson à la coca.

Editions Anima Corsa juin 2014 Bastia.

5 boulevard Hyacinthe de Montera.

Christophe Canioni : 04 95 31 37 02.

Et aussi sur le site Amazon.

Présentation des principaux personnages amis d’Angelo Mariani présents lors de l’inauguration de la fontaine : la Siagnole en bronze réalisée par Théodore Rivière à Valescure (Saint-Raphaël) en février 1905.


 


Arrêtons donc nous un instant à la personnalité du Docteur Lutaud (a). Puis dans un second temps à celle de Xavier Paoli (b), sans oublier ensuite l’existence de la très discrète Mme Isabelle Chapusot (c) pour terminer enfin cette évocation (d) avec Oscar Roty.

Le docteur Auguste Lutaud (1847-1925).

Le docteur Auguste Lutaud est de prime abord un personnage semble-t-il en apparence quelque peu excentrique. Quelqu’un de haut en couleur comme on dit à l’époque au XIXe siècle pour nommer une personne un brin hors du commun. Mais à vrai dire quand on y regarde de plus près, c’est bien tout le contraire qui nous apparaît. Né à Maçon, il étudie la médecine à Paris. On le retrouve par la suite en Allemagne et en Angleterre, puis aux États-Unis pour poursuivre son périple jusqu’au … Pérou. De retour en France, la maîtrise de la langue de Shakespeare aidant, on assiste à son ascension rapide dans les responsabilités médicales au niveau national. En l’espace de quelques mois, il devient un spécialiste reconnu et incontournable à Paris en matière gynécologique et obstétricale. Il attire déjà l’attention d’Angelo Mariani par le fait d’avoir été notamment au Pérou. Nous sommes dans les années 1880. Ils sont de plus voisins à Valescure (Saint-Raphaël). En effet le Docteur Auguste Lutaud, est aussi le propriétaire d’une villa dite des Mimosas, proche de la demeure d’Angelo Mariani. Ils sont amis à tel point que Lutaud sera accueilli en personne à New York par le beau-frère d’Angelo Mariani à savoir Julius Jaros en cette ville américaine. Il résidera au 266 West End Avenue entre la 72d et 73d Street.

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Tome IX (1904)

À cela s’ajoute en parallèle la présence efficace de ses deux frères Émile (1845-1933) et Charles (1855-1921). Ce dernier après avoir été plusieurs fois désigné préfet, est nommé par la République Gouverneur de l’Algérie en 1898. Il possède lui aussi depuis 1892 une villa à Valescure (Saint-Raphaël).

Notre homme, Auguste Lutaud outre le fait d’être un médecin reconnu et apprécié est aussi un écrivain de grand talent. On lui doit notamment sous le pseudonyme du docteur Minime en 1884, le célèbre ouvrage intitulé : Le Parnasse Hippocratique qui sera réédité en 1896 avec des dessins d’Albert Robida, accompagné du fameux poème de Maurice Bouchor sur la coca. Puis à son retour de l’étranger, le livre ayant pour titre : Les États-Unis en 1900, publié tout d’abord chez la Société d’éditions scientifiques en 1896, puis par Flammarion en 1897. À cela, il faut y ajouter une multitude de traductions d’ouvrages de l’Anglais en Français. Et surtout en 1924 aux Éditions Rhéa : Le crime du Capitaine. (Nous reviendrons plus tard sur cet ouvrage concernant l’affaire Alfred Dreyfus).

Le Crime du Capitaine.

Le Crime du Capitaine Edition Rhea 1924

L’île d’Or.

Une île à l’histoire incroyable : située à l’est de Saint-Raphaël et d’ Agay dans le département du Var, en prolongement du massif du Dramont, l’île est longtemps restée anonyme. C’est en 1897 qu’elle va sortir du néant. En effet, mise aux enchères par l’État, c’est un dénommé Léon Sergent architecte de son état et vice-consul du Royaume-Uni qui en devient le propriétaire. Ce dernier installé dans sa villa Asphodèles à Valescure s’est rendu acquéreur de l’île d’Or pour la modique somme de 280 francs. Soit l’équivalent de 50 bouteilles de vin Mariani de l’époque. L’île change de nouveau de propriétaire au cours d’une partie de cartes dont elle fut l’enjeu en 1909 ! Le Docteur Lutaud en devient le possesseur. Il transforme cet îlot sans prétention en un véritable royaume pour tête couronnée. Grâce à ses revenus confortables, le maître des lieux fait élever à grands frais une tour carrée dite «sarrasine» de quatre étages en pierres rouges de l’Estérel, à l’identique des rochers du site.

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L’île d’Or aujourd’hui.

Le 19 septembre 1910.

Dans l’allégresse qui suit la construction de cette tour, le médecin s’autoproclame «Roi» de l’île d’Or ! Ou plus exactement « Roi après Dieu, Roi tu es, Roi tu resteras». Il prend par la même occasion le nom d’Auguste 1er. Dans la foulée, il frappe monnaie, timbre et papier officiel avec la création d’un hymne national. Pas moins. Il a pris soin en outre de graver sur la roche son blason et ses deux devises. L’une en latin l’autre en langue arabe.

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Inscription en latin : Insula Aurea (île d’Or), Rex propio Motu (Par ordre du Roi) et en langue arabe : Ton salut est dans la sincérité.

Sur ce «territoire indépendant» et pour parfaire ce moment solennel, une fanfare joue l’hymne national de l’île d’Or, lors de l’arrivée des nombreux invités, dont Angelo Mariani et Xavier Paoli. On note parmi une centaine de personnes, la présence du préfet du Var, Louis Hudelo, d’Oscar Roty, le célèbre graveur. Sans oublier Charles Carolus-Duran, artiste peintre. Tout cela sous un drapeau ceint d’une étoile et d’un croissant de lune. Ces privilégiés partent ensuite rejoindre la terre ferme du Dramont afin d’aller déjeuner avec les convives, dont de nombreux enfants, restés sur le continent.

Angelo Mariani tout de blanc vêtu à genou devant la marraine. Derrière elle, le docteur Lutaud. A sa gauche Xavier Paoli et son chapeau melon.  Cliché issu du document intitulé : L'ile d'Or de Laurence Bureau-Lagane, juin 2013.

Angelo Mariani tout de blanc vêtu à genou devant la marraine. Derrière elle, le docteur Lutaud. A sa gauche Xavier Paoli et son chapeau melon. Cliché issu du document intitulé : L’ile d’Or de Laurence Bureau-Lagane, juin 2013.

Ce lundi 19 septembre 1910, le « roi » Lutaud, le jour de son investiture, choisit une petite fille méritante du Dramont. Selon certains, cette jeune enfant n’est autre que la fille d’un contremaître italien, tailleur de pierres de la carrière du Dramont. Elle se nomme Amélie Borgini. Auguste Lutaud la désignera « marraine de l’île d’Or ». Après avoir reçu sa couronne et son sceptre, Auguste 1er écouta avec attention les quelques vers suivants récités par sa marraine :

Sire, acceptez sur ce plateau
Cette clef de fleurs entourées ;
Que cet hommage vous agrée,
O Roi, le premier des Lutaud !
Grand souverain de l’île d’Or.
Pour vos sujets, soyez un père.
Que votre règne soit prospère
Pendant de bien longs jours encore,
Vive le roi de l’île d’Or !

Le jeudi 25 septembre 1913.

Trois ans plus tard, le jeudi 25 septembre 1913, notre souverain Auguste 1er invite sur son île, quelques amis comme, le Général Joseph Gallieni et sa femme, nommé d’entré ministre de la Guerre, l’écrivain Jean Aicard (de l’Académie française), Angelo Mariani (en sa qualité de Roi de la coca), et Xavier Paoli désigné chef du protocole et des commandements de Sa Majesté Auguste 1er. Ce jour-là, Monsieur Ernest Grandclément, pour avoir salué la présence du monarque de nombreux coups de canon, est affublé du titre de ministre de la Marine ! On remarque aussi M. Simian, sous-secrétaire d’État aux Postes, et son épouse. Tout comme le journaliste du Figaro André Nède et M. Floch, ministre d’État de Monaco. Son excellent ami et voisin Lord Cécil William, est désigné dans la foulée, consul du Royaume de l’île d’Or auprès de Sa Majesté britannique. Là encore, la fête est un énorme succès.

Le XXe siècle.

Auguste Lutaud restera sur son trône jusqu’à sa mort le 25 août 1925. Il est inhumé à St-Raphaël (Var) en un lieu quelque peu accessible. C’est à dire bien entendu sur l’île d’Or. Dans les années trente, l’île a semble-t-il été immortalisée par Hergé. Ce dernier s’en serait inspiré pour l’un de ses albums de Tintin : « L’île Noire ».

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Hergé (1907-1943), L’île noire, 1942 51 x 35 cm 1 011 200 €, le 24 mai 2014.

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Tintin, L’ïle noire.

L’Armée américaine y débarque à son tour le 15 août 1944 dès 8 heures du matin pendant l’opération militaire de libération du Midi de La France intitulée : Anvil Dragoon. La tour sarrasine est légèrement malmenée. Mais cela en fait du coup l’un des premiers territoires français libérés des nazis dans le sud de la France (La Corse l’avait déjà été dès le début d’octobre 1943). L’île change une nouvelle fois de propriétaire en 1961, lorsqu’un officier de la marine, François Bureau (1917-1994), l’achète à Olivier Lutaud, petit-fils du disparu.

En 2014.

Que reste-t-il aujourd’hui d’Auguste Lutaud ? Tout d’abord, l’histoire même de l’île d’Or. Île qui est habitée une partie de l’année. Puis un square à son patronyme à Saint-Raphaël, face à la méditerranée, inauguré en juin 2010 par la municipalité. Ensuite sous la forme d’un clin d’œil de la République, un timbre tout à fait officiel cette fois-ci illustrant l’île d’Or, réalisé par la poste le 29 juin 2013. Soit un siècle jour pour jour après la première émission peu académique d’un timbre postal.

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Timbre postal, l’ïle d’or.

Pour plus d’informations, on peut lire avec intérêt :

Le Figaro du 7 février 1914 : Fortuna.
Nice Matin du 19 août 1984 : La sobre sépulture du Dr Lutaud.
L’Express du 25 mai 2010 : La côte d’Azur et ses dernières criques secrètes.
Bureau-Lagane Laurence, L’île d’Or joyau de l’Estérel, Éditions de L’île d’Or, juin 2013.
Qantara, n° 90, Janvier 2014, Les Sarrasins en Méditerranée au Moyen Age.

Une brève histoire de la Fontaine dite la Siagnole à Valescure commune de Saint-Raphaël (Var).

   Angelo Mariani en 1904 fait don à la commune de Saint-Raphaël d’un de ses terrains à Valescure afin de permettre l’installation d’une fontaine pour le bien de la population locale. Élément bien agréable du reste lors des périodes estivales. Afin d’embellir ce point d’eau, il demande à son ami parisien le sculpteur Théodore Rivière (1857-1912) de lui réaliser un magnifique bronze représentant une nymphe allongée sur des rochers et à Oscar Roty (1846-1911) un petit macaron en forme de tête de faune. Avec d’autres, il participe activement à l’aspect financier de ce projet qui devient du coup réalité.

   Cette oeuvre d’art, réalisée hors musée et située en plein air, aux abords de la Villa Andréa (en l’honneur de sa fille, trop tôt disparue) fait la une de plusieurs publications nationales de l’époque, comme La Simple Revue ou bien encore l’Illustration dans laquelle Angelo Mariani pose aux cotés de Rivière et de Roty. Cette beauté artistique a pour cadre les pins parasols et les eucalyptus. Cette beauté féminine ondulante, allégorie de l’écoulement de l’eau se repose allongée aux yeux de tous sur plusieurs blocs rocheux de rhyolite venus de l’Esterel voisin.

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   Cette fontaine qui est en réalité une commande personnelle d’Angelo Mariani à Théodore Rivière est un monument assez osé pour l’époque. Il se veut surtout être la conclusion de la source de la Siagnole. Pour preuve, l’extrait rédigé par le Docteur Langer (Plus connu sous le pseudonyme de Georges Régnal) et paru dans la Simple revue en 1910, intitulé : En Provence à Valescure à la villa Andréa (Villa Mariani) : « Un exquis petit ruisseau formé par la source de la fontaine la Siagnole traverse la propriété d’Angelo Mariani. Avec l’eau, dans le Midi, on fait de la végétation tropicale à volonté, comme aussi on acclimate toutes les espèces des régions tempérées, qui poussent seulement là plus vigoureuses, plus violemment colorées que partout ailleurs. Parmi les palmiers, les aloès, les kakis, les daturas, les camélias, et mille autres plantes, j’ai vu après un orage, un poivrier dont chaque feuille retenait une goutte de pluie irisée par le soleil déclinant … On eut dit la parure de Selika suspendue à ses branches. Entre M. A. Mariani et la Siagnole, il y a eu échange de bons procédés; si l’un doit à l’autre la beauté de ses parterres, il lui en a témoigné sa reconnaissance par l’érection d’ une fontaine à quelques pas de la villa, au rond-point du parc. La ravissante « Nymphe » de Théodore Rivière allongée sur la roche tend une coupe à la source délicieuse ».

   D’ailleurs ce n’est pas la première fois qu’Angelo Mariani fait bâtir une fontaine. En témoigne cette autre source réalisée par ses soins dans son village natale de Pero-Casevecchie en Corse en 1896.

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   En ce qui concerne la fontaine artistique de Valescure parfois dénommée la Sirène, elle est officiellement inaugurée en février 1905. En présence du Préfet du Var, M. Charles Evariste Bonnerot (1856-1933) et du maire de Saint-Raphaël, M. Léon Basso. La municipalité par la suite avec une délibération en date du 16 avril de la même année entérine ce don. Pendant plus de trente-sept années, la sculpture de Théodore Rivière fera le bonheur des habitants de Valescure commune de Saint-Raphaël dans le Var.

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   Ce point d’eau va ensuite connaître bien des vicissitudes. Qu’on en juge par ces quelques éléments : Le 11 novembre 1942, les armées allemandes envahissent la zone de Vichy, dite « libre ». Ces derniers réagissent en représailles au débarquement allié en Afrique du Nord. Les Italiens le jour suivant font de même pour huit départements français et agrandissent de la sorte leur propre zone d’occupation en y incluant la Corse. Ils atteignent le Rhône. Le Var (a) de ce fait passe sous leur contrôle. Le 27 novembre les allemands, présents dans cette partie du territoire national attaquent par surprise Toulon. Le but est de s’emparer de la flotte française. C’est un échec pour eux car les navires français se sabordent. Les allemands occupent cependant la base aéronavale de Fréjus. Il est souvent dit que les militaires Allemands en 1942 ont pris alors la statue en bronze de Valescure comme trophée de guerre pour leur fonderie. On peut donc aisément dater, au vu des évènements, ce triste forfait entre la fin novembre et le mois de décembre de la même année. Chose étonnante, ils ne prennent ni la tête de faune, ni la plaque d’inauguration (b).

   Après guerre la fontaine semble passer dans l’oublie jusqu’au jour d’une modification urbanistique dans le quartier de Valescure. En 1985, à l’emplacement du carrefour dit des Anglais, il est décidé de la déplacer de quelques dizaines de mètres. Mme Baur responsable associative en fut le maître d’oeuvre. Cette nouvelle localisation voulue par la municipalité de l’époque, doit faciliter la circulation automobile croissante. La Mairie en profite pour faire un modèle de la tête de faune et remplacer l’original. Ce dernier se trouve en toute logique aujourd’hui au musée de Saint- Raphaël. Seule reste sur place la plaque commémorative, incrustée dans la fontaine ou ce qu’il en reste. Bien des années plus tard, Émilie Michaud-Jeannin (docteur en histoire de l’art) dans le quotidien Var matin du 2 septembre 1990 (c) émettait une idée par le biais d’une remarque ingénieuse : « Il est regrettable de ne pas avoir retrouvé un moulage qui l’eût remplacée ». Auparavant Émilie Michaud-Jeannin nous apprenait déjà, le 8 août 1989, que la demeure villa Andréa, avait été réalisée dès 1888 par l’architecte Ravel.

   La photographie est réalisée là encore par A. Bandieri. Dans la revue l‘Illustration du 11 mars 1905, n° 3237, à la rubrique : documents et informations, le journaliste en charge de cette partie a la mauvaise idée de recadrer la photographie. Il fait disparaître du coup Roty et Mariani ne laissant que Théodore Rivière. Mieux, il remercie la colonie étrangère (anglaise) d’avoir doté la commune de Saint-Raphaël de cette oeuvre. Cette dernière n’y est pourtant pour rien. Pour preuve la délibération du conseil municipal de Saint-Raphaël du 16 avril 1905 qui rectifie cette erreur par la précision suivante : « M. Mariani, Mesdames Bouloumié et Chapusot et Messieurs Kuhn, Labbé, Lutaud, Paoli et Roty ont tous contribué aux frais d’édification du monument sur un terrain appartenant à M. Mariani, en bordure sur le Boulevard de Valescure. Cette fontaine est due au ciseau artistique du sculpteur Théodore Rivière ». Quelque temps plus tard, la plaque d’inauguration est déplacée de la droite vers la gauche du monument. Et on y voit apparaître un nouveau nom : H. Poussin (Henri Poussin,  architecte connu pour ses réalisations carcérales).

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Photographie d’A. Bandieri avec Théodore Rivière sans Roty et Mariani.

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Photographie d’A. Bandieri avec Théodore Rivière, Roty et Mariani.

   Sur cette carte postale ci-dessous, on distingue Mme Isabelle Chapusot, Angelo Mariani avec sa barbe blanche et en retrait Xavier Paoli, son cousin commissaire principal de Police à Paris en charge de la Sécurité des personnalités politiques de passage sur le territoire national. En arrière-plan, on remarque la villa Mariani dite Andréa construite en 1890.

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   C’est un autre cliché d’A. Bandieri. Ce dernier possède un studio photographique sur la place Pierre Coullet au centre-ville de Saint-Raphaël. On doit à ce photographe de nombreuses images du début du siècle passé réalisés pour l’essentiel dans le Var.

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Extrait d’un cliché paru dans l’ouvrage rédigé par Marcel Carlini et intitulé : Saint-Raphaël, le temps retrouvé, Editions Equinoxe, 1998.

(a) Le Var est occupé militairement, et ce de manière totale du 28 novembre 1942 au 8 septembre 1943 par l’Italie fasciste et la 4e armée du général Vercellino. Le 9 septembre 1943, suite à l’armistice italien avec les alliés (Cassibile) et à la chute du dictateur Mussolini, l’armée allemande envahit alors le Var. En réalité, les nazis se sont déjà positionnés sur les côtes de Provence dès juillet 1943. Ils y resteront jusqu’au 15 août 1944. À cette date des commandos français et l’armée U.S, les chasseront en débarquant victorieusement en Provence.

(b) Il peut être important de lire sur ce sujet, l’étude précise de Jean-Yves Coulon, parue dans le quotidien Ouest-France en décembre 1984 et intitulé : La Saint-Barthélemy de la statuaire.

(c) Émilie Michaud-Jeannin, La nymphe de la Fontaine, Théodore Rivière l’avait sculptée pour orner le carrefour des Anglais. Souvenir de l’artiste, Var matin, 2 septembre 1990.

   Pour en savoir plus sur cette fontaine âgée de 110 ans, on peut se reférer aux articles et textes suivants parmi d’autres :

Exposé sur Valescure, Magali Kieffer et Louis Marsan, 17 mars 1977, comité de promotion culturelle, Villa Marie à Fréjus.
Var Matin République, 19 mars 1977, Valescure un site fort apprécié grâce aux efforts d’un ancien maire raphaëlois : Félix Martin, A.P.
Nice Matin, 20 mars 1977, Quand Valescure avait l’accent d’Oxford.
Var Matin, 8 aout 1989, Villa Andréa, le souvenir d’Angelo Mariani, Emilie Michaud-Jeanin.
Var Matin, 2 septembre 1990, La nymphe de la fontaine, Emilie Michaud-Jeanin.
Courrier de Valescure, n° 23 février 1996, Mariani à Valescure…il y a 100 ans, Pierre Fernez.
Fiche n° 179, concernant Angelo Mariani au service des archives et de documentation, ville de Saint-Raphaël en date de décembre 2003.
Courrier de Valescure, n° 39 février 2004, Le vin Mariani ou l’origine du Coca-Cola, Corinne Galland.
Var Matin, 17 juillet 2007, Angelo Mariani, l’homme qui inventa le French tonic wine, C. Bobo.   A.D
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